Ne sais si j’aime Hijikata. Crois au désir de porter ses écrits, qui eux-mêmes portent sa danse. Sa danse, son butô, ses émois sont déjà à lire dans les territoires boiteux, les sentiments de défaite, « la tête de ce bébé au fond de ma boue » qu’il couche sur le papier. Ce qui nous évite peut-être radicalement toute nécessité à la faire, la refaire, sa danse.
« Tout en se réjouissant d’avoir sa tête et ses quatre membres, se dire néanmoins qu’on aimerait être impotent, qu’on aurait bien aimé être né impotent une bonne fois pour toutes ; car c’est seulement quand ce désir vous vient, que le premier pas est enfin accompli en danse. »
Non que cela soit une honte d’essayer de refaire le butô. (Il reste sûrement un butô à inventer : le Rebutô ?! _rebutant devrait être le butô nouveau…)
Mais mon idée est que nous ne ferons pas du Butô à partir de ces textes hallucinants, car ils portent déjà le Butô en eux. La paille, la boue, la difformité, les tripes, tout y est… Le travail s’effectuera par en dessous, à côté. Nous exhumerons la pensée d’un immense artiste de façon à ce qu’il nous laisse entièrement à nos propres folies.
Que la force de ses écrits, qui doivent être comme donnés à lire, nous laisse libre dans le geste même de les porter. Ne nous inspirons pas d’Hijikata, ne fabriquons pas un spectacle qui découle de ses écrits, ne faisons pas vraiment de la « mise-en-scène ».
Nous brandissons une banderole à bout de bras mais ils risquent de nous dégouliner dessus, de répandre leurs salissures. Et c’est peut-être pour cela que je ne suis pas sûr de pouvoir aimer Hijikata : il a l’air sale, mort, impuissant, puceau et obscène.
Boris Charmatz
« Cerné de nus fulgurants, le créateur de danse s’émacie furieusement. A immerger ses côtes décharnées dans le canal des égouts, ma poitrine s’est trouvée encombrée des épaves de l’époque. Pour éviter qu’elle ne rouille, je l’ai huilée copieusement, avant de m’atteler à ma tâche pour des journées infinies. Loin de cette poitrine et de sa douloureuse convalescence, je m’offrais des bains de soleil dans les théâtres. Dans un dépôt mortuaire sous surveillance à l’intérieur d’étagères, le regard s’est insinué qui se porte sur la génération actuelle, celle dont l’âme ne saurait vivre en aucun cas des seuls avoirs reçus en héritage. Arpentant méticuleusement Tokyo – où elle n’est pas forcément éteinte, cette génération qui, des mains a conçu les yeux – j’aboutis au matériau. Lequel je n’avais plus qu’à ramasser parmi une jeunesse occupée ici à frotter dans un atelier de galvanisation, accroupie là bas dans un garage. Je regarde les mains. Il s’en échappe un mouvement de particules mal dégrossies. La colonne vertébrale penche légèrement vers l’avant. Une danse en dévale la pente. Pour un regard malheureux on peut se voir changer de gélatine. Têtes brûlantes. La vengeance bridée d’un bouton froid a baissé d’un petit cran le front ; il faut que le matériau soit d’abord un amant. Je m’approche. L’odeur dresse entre les garçons et moi un équilibre quasi ascétique ; de manière générale, tous ces corps étirés à l’excès comme les branches d’un parapluie pour faire barrière à ce qui tombe, tous ces corps de travers, cassants, raidis par le sacrifice, donnent en maintes façons priorité aux lignes quasi estampillées de leur entourage de la vingtaine, en lieu et place de toutes séduisantes figures. Dans l’immense Tokyo il y a des corps à crever. »
Tatsumi Hijikata, Extrait de Matériau du dedans, Traduction Patrick De Vos
Durée : 1h10 environ
Jeanne Balibar, Boris Charmatz
Lumières : Yves Godin
Régie lumière et vidéo : Eric Houllier
Conception décor : Alexandre Diaz / Dominique Bernard
Direction technique : Frédéric Vannieuwenhuyse
Construction décor : Artefact
Son : Olivier Renouf
Régie son : Jacques Marcuse
avec la collaboration de Françoise Meslé pour Jacana wildlife studio
Textes : Tatsumi Hijikata
Traduction : Patrick De Vos
Performance au casque conçue et transmise par Gwendoline Robin
Direction de production : Sandra Neuveut, Martina Hochmuth, Amélie-Anne Chapelain
Production : Association edna ; Musée de la danse / Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne – Direction : Boris Charmatz. Association subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication (Direction Régionale des Affaires Culturelles / Bretagne), la Ville de Rennes, le Conseil régional de Bretagne et le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine.
L’Institut français contribue régulièrement aux tournées internationales du Musée de la danse.
Coproduction : Le Théâtre de la Ville Paris / Festival d’automne à Paris, coproduction croisée du CNDC Centre national de danse contemporaine Angers et du Nouveau Théâtre d’Angers centre dramatique national des Pays de la Loire, dans le cadre de leur programme de résidences danse/théâtre, La Ménagerie de Verre-Paris dans le cadre de ses accueils studio, deSingel Anvers
avec l’aimable autorisation du Buto Sôzô Shigen, Tokyo
avec le soutien de l’ADC Genève-Suisse, la Dampfzentrale de Bern-Suisse, la Gessnerallee à Zurich-Suisse, le Tanzquartier Wien-Autriche et Cultures France.
Remerciements : Marie-Thérèse Allier, Frédéric Bélier-Garcia, Lalou Benamirouche, Patrice Blais et Raoul Demans, Patrick De Vos, Myriam De Clopper, Marie Collin, Emmanuelle Huynh et toute l’équipe du CNDC d’Angers, Sima Khatami, Isabelle Launay, Aldo Lee, Frédéric Lormeaux, Barbara Manzetti, M. Marlhin (société DPI), Takashi Morishita, Jean-Philippe Varin, Gérard Violette et Angèle Le Grand.
La danseuse malade a été créé le 24 septembre 2008 au CNDC d’Angers
Photo de couverture : © Fred Kihn / La danseuse malade, Le Quai Angers, 2008